Une sirène à Paris – Mathias Malzieu

« Mais être Surprisier, c’était décider d’être l’Indien. Celui qui va voir ailleurs si j’y suis. Celui qui prend le risque de désobéir. Surprendre et se surprendre au d’accéder au rang de Surprisier suprême.« 

Mathias Malzieu prend son rôle de Surprisier très au sérieux. Il parvient même à arrêter le temps, littéralement:

« La grande horloge du Temps venait de faire un infarctus. Paris était plongé dans l’obscurité.« 

On lui retrouve cette obsession de « retenir » l’émotion coûte que coûte, déjà présente dans Le plus petit baiser jamais recensé (me semble-t-il, la lecture n’est plus fraîche). Chez Malzieu, le prix à payer sont des fulgurances d’écriture et des hypotyposes mariées à des asyndètes*. On pourrait s’en tirer à pire.

* Aveu douloureux mais nécessaire: les mots hypotyposes et asyndètes ne sont pas sortis de mon cerveau comme des petites fleurs. J’ai dû vérifier, alors je partage ici:
– Hypotypose: Accumulation de détails concrets, souvent fragmentaires, pour donner l’impression d’un tableau
– Asyndète: « absence de liaison ». Figure de style fondée sur la suppression des liens logiques et des conjonctions dans une phrase. Exemple impérial: « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu ».

Voilà. Rien de très utile mais les mots sont jolis.

Qu’est-ce qu’un Surprisier ? Un rêveur de combat, qui milite et se bat pour la capacité d’émerveillement et revendique les vertus de l’imagination. Ce n’est pas ici qu’il trouvera beaucoup de détracteurs.

Surprisier en quête d’émerveillement

Mais entrons dans le vif du sujet.

L’histoire démarre en trombes d’eau: Paris déborde de tous les côtés de la Seine. Le Surprisier d’Une Sirène à Paris s’appelle Gaspard Snow et est le digne héritier de l’inventrice des Surprisiers: sa grand-mère Sylvia, femme fantasque et fondatrice d’un bateau-cabaret, le « Flowerburger ».

C’est dans ce bateau presque ruiné que, tous les soirs, Gaspard monte sur la scène comme on monte sur un ring, prêt à distribuer ses coups de poings d’émotions. Ce n’est pas facile tous les jours, surtout avec un coeur arrêté par le départ d’une femme de sa vie. Mais la réalité lui fait le plus cadeau du monde: elle le surprend, en mettant sur sa route une créature légendaire mais diablement sexy: une sirène. A partir de là, tout est possible…

La Petite Sirène version 2018 ?

Si la scène de Lula (la sirène) dans sa salle de bain chantant à l’unisson avec Ariel est celle qui m’a provoqué le plus de joie, la comparaison avec l’héroïne de Disney s’arrête à leurs jolies voix. Lula est une femme-poisson blessée, dangereuse, capable de tuer.

J’ai beaucoup aimé son traitement dans le roman, en terme visuel bien sûr et par la fraîcheur qu’elle amène dans la vie de Gaspard. Malzieu l’intègre parfaitement au monde que l’on connaît: elle n’est pas une image mythologique, mais un être de chair et de sang (bleu) qui interagit avec l’extérieur. Et apporte au récit un souffle des plus poétiques.

Bombes d’émotions

Poésie, c’est naturellement le mot qui éclate entre chaque page de ce roman, tant Malzieu manie les assonances et nous enchante de ses analogies décalées et images savoureuses. Il écrit avec le savoir-faire d’un électricien sachant pertinemment où court-circuiter nos sens:

« Le débit de ses mots ralentissait comme un vinyle lors d’une coupure d’électricité. Le tuk-tuk filait dans la nuit. L’aube commençait à décolorer les étoiles. »

Rien que pour cette phrase, je lui pardonne une sous-intrigue Milena-Victor un peu encombrante et une fin trop rapide. J’aurais aimé rester un peu plus longtemps avec Gaspard et Lula.

Un film et un disque

Ce sera heureusement bientôt possible puisque, en qualité de Surprisier et d’inventeur de monde, Malzieu prépare le film Une sirène à Paris, de même qu’un nouveau disque pour Dyonisos, inspiré de son roman.

https://www.youtube.com/watch?v=HzQHB-udAw0