
Depuis Arrête avec tes mensonges, les livres de Philippe Besson s’alignent sagement dans ma bibliothèque. A chaque sortie de cet auteur, le jeu est de savoir combien de temps je vais résister avant de filer dans une librairie et de me retirer du monde de mes semblables pendant les deux-trois jours que m’occuperont ses pages. Pour son petit dernier, j’ai bien tenu 48 heures.
Huis clos ferroviaire
La photo et le titre pose le décor: Besson nous fait embarquer à bord d’un train de nuit, le Paris-Briançon, en compagnie d’une poignée de passagers: un médecin, un hockeyeur, une assistante de production et ses deux enfants, un couple de retraités, un représentant de commerce et une bande de quatre jeunes. Pour eux comme pour nous, c’est le voyage de tous les possibles.
Seule certitude: pour certains, l’issue sera fatale: « Parmi eux, certains seront morts au lever du jour ».
Cela intervient dans le premier chapitre, et je l’avoue, je suis un peu déçue. Pour maintenir le suspens, Besson multiplie ses effets d’annonce, me donnant l’impression que le récit file droit sur des rails dont le terminus est déjà connu. Et je reste à quai.
Le problème avec les livres qui parlent de train, c’est qu’ils laissent la voie libre à beaucoup trop de jeux de mots auxquels j’ai infiniment de peine à résister. Et cela ne rend pas justice à ce texte qui est bien loin du roman du gare (promis, c’était le dernier).
Une nuit à la croisée des destins
Car en vérité, je n’ai été déçue que les 40 premières pages. Par la suite, ces silhouettes égarées sur le quai s’épaississent, dévoilent un vécu, un drame, des rêves, gagnent en profondeur. De la même manière que Besson joue avec nos nerfs en maintenant le doute sur l’avenir de nos compagnons de voyage, il s’amuse à déjouer nos attentes et nous invite, dans les ombres de la nuit, à aller chercher derrière les apparences.
C’est aussi ce qu’expérimentent les protagonistes au contact les uns des autres. Parfois, la première impression n’est pas la bonne, et cela vaut la peine de revoir son jugement car la camaraderie, la profondeur et l’intimité peuvent surgir de n’importe où. C’est le miracle du hasard, quand il se cache dans ces heureuses coïncidences. Avant de revêtir les habits noirs de la fatalité.
Continue avec tes mensonges
Quand Philippe Besson publie Arrête avec tes mensonges, il abandonne ses histoires inventées pour nouer avec l’autobiographie. Un pacte qui lui réussit bien, comme l’ont confirmé Un certain Paul Darrigrand et Dîner à Montréal.
S’il s’inspire d’un fait divers, Philippe Besson reprend dans Paris-Briançon le chemin de la fiction, comme l’annoncent les paroles d’une chanson de Bashung inscrites en exergue: « La nuit je mens. Je prends des trains à travers la plaine ». Mais quand un mensonge ressemble tant à la réalité des sensations, jusqu’à ravir une larme, on ne peut que suivre l’auteur sur les territoires de son imaginaire, les yeux fermés et la tête somnolant contre la vitre d’un train de nuit.
Besson est un auteur qui invite à la relecture. Après un premier sprint entre les pages, pour connaître le dénouement, il vaut la peine de reprendre le voyage plus tranquillement, et de laisser résonner certaines phrases dans toute leur justesse et leur bouleversement. Au passage, je note:
– « La vie, c’est quelquefois des occasions manquées. »
– « Parce que c’est bien connu, les prophéties qu’on énonce, même dans un souffle, se réalisent. »
Et, bien entendu, la dernière phrase.