
Dans son premier roman, publié en 2024 en autoédition, l’auteure Adeline Delaforge nous invite à la rencontre de Victoire et de sa fille Gabrielle, dans un récit envoûtant et solaire, même si l’astre peut aussi brûler.
Une nuit dans un hôpital
Le pire coup de fil qu’une mère puisse recevoir : votre fille a été blessée, elle est en chirurgie.
Victoire se précipite à l’hôpital pour veiller Gabrielle, sa fille de 19 ans qui se bat entre la vie et la mort. À son inquiétude dévorante s’ajoute le poids d’un terrible secret, une histoire qu’elle a essayé de cacher le plus longtemps possible. Un secret que Victoire est obligée d’exhumer si elle veut obtenir le pardon de Gabrielle. Dans la salle d’attente, à l’affût du moindre signe des médecins, elle convoque ses souvenirs, les épisodes traumatiques comme les moments de joie intense. Elle raconte, à nous comme à sa fille, son parcours.
Si le dispositif est assez classique, il n’en est pas moins efficace. Dans l’intimité d’un presque huis clos, seule la parole sincère et vraie peut se dévoiler. La confession de Victoire pèse lourd sur son âme, elle est pleine de regrets et de culpabilité, chaque mot lui est comme arraché alors qu’elle se trouve au pied du mur, dans la nécessité de se libérer de son passé et d’offrir la vérité à Gabrielle.
Les premiers paragraphes captent d’emblée l’attention. Par le suspens qu’ils instaurent, certes, mais aussi, plus subtilement, par le style et la beauté de la phrase. Les mots sont usuels mais toujours précis, et Adeline Delaforge sait doser douceur et dureté derrière une simplicité apparente, notamment par l’utilisation d’images fortes : « Sous mes pieds, le sol élimé évoque en silence des décennies de cent pas. »
Tension entre les âges
Autre procédé souvent utilisé mais qui ici prend tout son sens, puisque les souvenirs reviennent par vagues à la conscience de la narratrice, les chapitres alternent entre le présent de l’hôpital et la jeunesse de Victoire. L’enchaînement est fluide et l’auteure distille assez de mystères dans les deux époques pour maintenir l’intérêt du lecteur.
Le récit est enchâssé entre deux drames. L’accident de voiture ouvre le texte au présent et nous en découvrons les conséquences au fur et à mesure. Dans les parties consacrées au passé, le drame se prépare, sous nos yeux, dans les répliques du compagnon de Victoire. Implacable et irrémédiable. La construction de l’emprise est magistralement exécutée, plusieurs passages m’ont littéralement glacée. « Ce n’est pas Victoire, mais Victime qu’on va finir par t’appeler. »
Là où ton coeur te guide
D’autant que le personnage de Victoire gagne rapidement la sympathie du lecteur par l’amour qu’elle dégage, pour sa famille, ses amis et surtout sa fille. Elle est vive, compétente et attachante, surtout dans les passages qui développent son rapport à la danse. Il est douloureux de voir que l’amour et la confiance que lui ont donnés ses parents ne suffisent pas à la protéger de la souffrance. La relation fusionnelle qu’elle entretient avec sa fille est un autre point fort du récit, tant celle-ci se nourrit de tendresse et d’admiration partagée. La personnalité lumineuse de Gabrielle enfant puis adulte est très touchante et ses réactions ne sont jamais un prétexte.
Enfin, la narration est extrêmement efficace. Les thème et personnages se répondent avec justesse et les scènes s’enchaînent avec logique. Mon seul petit regret est qu’une chorégraphie aussi bien maîtrisée laisse peu de place à l’improvisation, et que les différents dénouements et rebondissements m’ont paru assez prévisibles. N’oublie pas que tu t’appelles Victoire reste une histoire puissante et universelle sur l’amour maternel, la résilience et la reconstruction de soi, qui ne manquera pas de remuer vos émotions.
Adeline Delaforge, N’oublie pas que tu t’appelles Victoire, 388 pages, 2024.
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