Cela faisait longtemps que je voulais te parler du dernier film de François Ozon, Été 85, que j’ai adoré. Mais je ne savais pas comment, parce que comme je l’ai vu à sa sortie en DVD, tout avait déjà été dit sur ce film et qu’il me semblait inutile d’en remettre une couche.

Et puis, une double actualité joue finalement en ma faveur. D’un côté, la dernière cérémonie des César s’est déroulée sans récompenses pour le film, ce qui m’a beaucoup attristée, notamment pour les deux comédiens – Félix Lefebvre et Benjamin Voisin – nommés tout deux pour le meilleur espoir masculin. En même temps, je n’ai pas vu les autres prestations, je ne peux donc pas vraiment juger. Mais j’ai envie de faire ma déclaration d’amour à ce film qui, même si j’en reconnais les défauts, m’a profondément chamboulée.

Ensuite, j’ai enfin vu Call me by your name, le sublime film de Luca Guadagnino. Je n’ai pas non plus grand chose à ajouter sur ce qui a été dit, mais comme les deux films racontent sensiblement la même histoire, et pas du tout, j’ai eu le caprice de les traiter simultanément, comme une sorte d’échange de cartes postales sur fond de soleil de vacances.

Pour vivre amoureux, vivons cachés

Pour Guadagnino, Crema, Lombardie, en 1983. 1985, Normandie, Tréport, pour Ozon. Deux étés pendant lesquelles deux couples, quatre hommes, vont se rencontrer et s’aimer. Le SIDA n’existe pas encore, mais l’insouciance n’est qu’illusion. S’aimer, quand on est homosexuel, ou que la société veut vous faire porter cette étiquette, se fait dans la nuit des ruelles, derrière des portes closes ou par regards interposés. Alors, quand on ne peut pas le dire, pas le montrer, comment fait-on éclore le désir ?

Devant la caméra de Luca Guadagnino, Elio (Timothée Chalamet) et Oliver (Armie Hammer) jouent le marathon. On s’observe, on s’apprivoise, on se frôle sans avoir l’air d’y toucher, on parle (beaucoup), on sous-entend, on sieste en attendant. L’un des plans évoquant cette torpeur et qui m’a profondément marquée montre Hammer alangui sur les pierres du bassin de la grande maison familial, évoquant un jeune Delon admirant Romy Schneider au bord de sa Piscine. Et je ne suis pas peu fière de l’avoir remarqué puisque l’avant-dernier film de Guadagnino, A Bigger Splash, est un remake du film de Jacques Deray.

Extrait de Call me by your name de Luca Guadagnino, 2017.

S’aimer fort, s’aimer vite

Comme dans La Piscine, si l’atmosphère est à la détente et au farniente, la tragédie n’est pas loin. Celle-ci est présente dès les premières scènes d’Été 85: on est dans un interrogatoire, David (Benjamin Voisin) est mort, Alexis (Félix Lefebvre) y est mêlé sans qu’on sache comment. Ozon instaure un suspens et une narration en flash-back, resserrant son récit qui, lui, est dans la rapidité. La rencontre entre les deux jeunes garçons est un coup de foudre, David est un épicurien qui ne s’embarrasse pas d’atermoiements, et Alexis ne demande qu’à se laisser emporter par cette vague de passion. Les scènes filent, comme la moto de David, jusqu’à l’impardonnable fin. David s’écrase, laissant son amour de vacances désespéré. Sous une apparente légèreté, le film aborde en un même élan l’amour et la mort, deux pulsions aussi étrangères que jumelles.

Quant à Call me by your name, la tragédie se vivra dans le silence de l’absence, face à un feu dont l’éclat n’empêche pas les cendres de se déposer.

Pourquoi je les aime ?

On pourrait dire beaucoup de choses de ces deux films. Je crois que la véritable force, qu’ils partagent, est de raconter une histoire universelle, celles des premiers émois amoureux et l’éveil à la sensualité. Il est amusant de constater que, pour filmer l’intimité d’une passion naissante, les deux réalisateurs aient choisi de filmer en pellicule, comme un hommage au grain des peaux.

D‘Été 85, j’ai aimé la sincérité, l’éclat des deux jeunes acteurs, l’attraction qui se joue entre eux, et la scène de la boîte de nuit, avec un tube de Stars de la pub que j’ai passé en boucle depuis (un certain goût pour les musiques acidulées des années 80).

De Call me by your name, j’ai aimé la grâce qui émanait de chaque plan, les rapports de force qui évoluaient entre les deux amants, le regard si bienveillant de parents d’Elio (Amira Casar et Michael Stuhlbarg), et la scène de fin, entre Elio et son père, d’une sensibilité et d’une justesse folles.

En somme, deux très belles histoires d’amour.